/Imagine des baies de serveurs éventrées, d’innombrables centres de données, des fermes de crypto-minage, des centres de logistique et de distribution perdus dans le temps. Il est difficile de dire où commencent et où finissent les végétaux et les machines, où les câbles Ethernet et les lianes s’entremêlent, où les racines semblent s’étendre partout et tout connecter. Entre ces imposants monolithes et ces structures hybrides, des individus drapés se croisent et s’enlacent au milieu de la mousse et des champignons. Certains s’assoient ou s’agenouillent en silence, plongés dans une contemplation fervente ou une communion avec une entité invisible. Aspirent-ils à son retour ? Ou est-elle déjà partout autour de nous? s’épanouissant dans les micro-composants de silice ou se générant dans chaque brin d’herbe ? ”
Midjourney Prompt, Thomas Garnier
Dyschronie présente une série d’œuvres créées par l’artiste français Thomas Garnier au cours des trois dernières années, offrant un aperçu de ses réflexions et de ses explorations des questions relatives aux espaces-temps alternatifs et à leur résonance. Le travail de Thomas Garnier se distingue par son approche interdisciplinaire, son utilisation de technologies de pointe telles que la photogrammétrie, l’impression 3D et la génération algorithmique d’images, et son contraste avec des modes de représentation plus anciens tels que la gravure, la lithophanie et la rétroprojection. Il en résulte une lecture sensible et atemporelle des sujets abordés, une nostalgie ambigue pour des futurs inexistants.
La dyschronie est un trouble de la perception et de la compréhension temporelle, le plus souvent caractérisé par un amalgame du passé et du présent et une incapacité totale à conceptualiser et à envisager l’avenir, quel qu’il soit, un «No future» littéral. L’artiste réfléchit à cette notion dans le contexte de sa lecture du travail de Mark Fisher sur l’Hantologie (néologisme de Jacques Derrida pour «hanter» et «ontologie»). Le développement de la technologie, dont on pensait qu’il mettrait fin à l’apparition des spectres et des résurgences culturelles du passé, semble paradoxalement, au contraire, exacerber et accélérer leur retour dans l’imaginaire commun.
Zeng Ye
Né en 1991, Thomas Garnier est un artiste contemporain et visuel français formé initialement à l’architecture. Il est diplômé du Fresnoy, Studio National des Arts Contemporains où il a reçu le prix spécial «Révélations Art Numériques» de l’ADAGP, société des artistes français pour son installation «Cénotaphe». Son travail a depuis été présenté lors d’événements internationaux, de festivals et de biennales tels que la Nuit Blanche (Belgique), la biennale WRO (Pologne), la biennale Nemo et la biennale Chroniques (France), ou encore dans des fondations telles que la Fondation Fosun (Shanghai) et la Fondation Fiminco (Paris).
Sa pratique est celle d’un artiste mais aussi d’un chercheur ou d’un hétérotopologue, tel que défini par Foucault dans son texte «les espaces autres». Cette recherche et construction de sens dans le ‘’liminal’’ ou ‘’l’entre deux’’ l’amène à produire des sculptures automatisées en effondrement, des images animées infinies qui tournent en boucle sur elles-mêmes, des chimères et accumulations linguistiques de mouvements artistiques inexistants.
Il recherche ainsi des lieux singuliers et lointains, des motifs matériels et immatériels qui influent sur la structure de l’espace, de nos paysages anthropocéniques. La nature critique des œuvres se développe à travers la déambulation, et l’observation d’espaces réels. Dans le travail de Thomas Garnier, nous semblons assister à l’archéologie d’un monde calqué sur le notre, dérivé et à la dérive, pris entre et obsédé par la congrégation de multiples temporalités et techniques, dérivées d’un futuro-primitivisme inexistant, d’un supra-romantisme fiévreux, d’un multi-brutalisme écrasant.